Evoquant Marie Cardinal dans un article publié dans le journal du Dimanche en 2013, Bernard Pivot se remémorait que « son dernier été à La Madelène avait été un paradis ». C’est en ce lieu que celle qu’il surnomma « L’Exilée Absolue », l’apatride, celle qui se sentait partout chez elle et nulle part chez elle, posa ses valises au début des années 80 et ce, pour les 20 dernières années de sa vie. Elle retrouvait ici dans le ciel de Vaucluse, dans la végétation du jardin, dans le parfum des fleurs, un peu de la lumière et des senteurs de son Algérie natale et chérie. Au mot « maison », elle associait « Afrique du Nord », « palmier »… Si elle avait toujours été profondément convaincue de la nécessité de l’indépendance algérienne, elle resta à jamais blessée par la perte de ses racines. Ici à Malaucène, au pied du Mont Ventoux, elle les retrouvait un peu.
Pied-Noire issue de la grande bourgeoisie catholique, algérienne, française, canadienne, professeure de philosophie à Salonique, Vienne, Lisbonne et Montréal, journaliste (L’Express, Elle…), comédienne (« Mouchette » de Robert BRESSON, 1967), scénariste, nègre littéraire pour le compte d’auteurs en panne, romancière aux millions de livres vendus et traduite en 26 langues, co-fondatrice du Syndicat des Ecrivains de Langue Française, Marie Cardinal eu plusieurs vies. Elle naquit en 1961, lorsqu’elle débuta sa psychanalyse. C’est au même moment qu’elle commence à écrire, « car 3 séances par semaine ce n’était pas suffisant ».
Son roman « Les Mots pour le dire » l’a propulsée sur le devant de la scène littéraire et connaître du grand public. Elle ne s’attendait à ce qu’il ait un tel destin, n’écrivait pas non plus pour avoir du succès. Elle écrivait par besoin, douloureusement, se battant avec son écriture dont elle était éternellement insatisfaite, un artisan des mots. Ce roman, comme les autres, elle l’a recommencé dix fois. « Nous les écrivains, ne sommes pas à la hauteur de notre écriture, disait-elle. Elle vient avec l’inconscient et nos livres sont plus grands que nous ». « Les Mots pour le dire » fut le bestseller de « L’Année de la Femme », 1975, et reçu le Prix Littré en 1976.
Elle n’aimait pas les étiquettes. Parce qu’elle écrivait en tant que femme, il a souvent été dit d’elle qu’elle était féministe. Elle s’en est toujours défendu et refusait d’être une figure de proue d’un quelconque mouvement. Marie Cardinal n’était pas une militante, juste une écrivaine célèbre qui espérait qu’un jour, les femmes trouveraient mieux leur place dans la société.
Elle ne se définissait pas comme une écrivaine, mais comme une « conteuse ». Son œuvre se compose d’une quinzaine de romans. S’ils semblent être autobiographiques au fond, ils le sont peu. « Je brode, disait-elle, je brode des trucs que j’ai vécus ou que j’ai vus, puis je les mets dans la bouche d’une personne qui est moi, mais c’est souvent pas moi ! ». La Madelène sert de décor à ses deux derniers romans. L’ultime « Amour… Amours… » (1998) comme un écho à son second « La Mule de Corbillard » (1963) en promenade avec Lola, une femme au crépuscule de sa vie. D’abord assise sous la treille, puis marchant aux abords de sa maison, peu à peu, les souvenirs remontent.
Extrait : « Tout en rêvassant Lola avait fait un bout de chemin. Elle était maintenant sur la colline qui domine sa maison. Elle la trouve belle. Mais comme elle l’avait fait plus tôt avec « sa » famille, elle trouve que ce possessif ne correspond pas à la réalité. Ces bâtiments constituent « sa » maison parce qu’elle les achetés mais ce lieu ne lui appartient pas, elle considère qu’elle en est la gardienne, c’est tout. »
Et c’est ainsi. Nous voici à notre tour les gardiens éphémères du Prieuré La Madelène, ce lieu merveilleux, chargé d’histoire et dont Marie Cardinal fait partie. Nous tenons à garder trace de son passage en ces murs alors nous chinons. Nous laissons dans le grand salon ses livres que nous glanons chez les bouquinistes des alentours, à disposition pour nos hôtes qui souhaiteraient découvrir ou redécouvrir ses écrits, intemporels. Si le temps de leur séjour s’avère trop court pour achever leur lecture, ils peuvent l’emporter dans leurs bagages. Voir le nombre de volumes décroître et toujours, devoir en rechercher d’autres, passer au bord de la piscine et de constater qu’un, deux, trois ! de nos hôtes sont en pleine lecture de la romancière, nous ravit !
En près de mille d’existence, Le Prieuré La Madelène a accueilli nombre d’hôtes et de gardiens. Tour à tour prieuré bénédictin (Sainte-Marie-Magdeleine-de-Capella de son nom d’origine), grande ferme aux nombreux ouvriers, magnanerie, haut lieu de la résistance du maquis du Mont Ventoux, résidence de Marie Cardinal qui aimait recevoir en de grandes tablées, aujourd’hui chambres d’hôtes en Provence… Nous sommes heureux de permettre au Prieuré La Madelène de perpétrer son ancestrale tradition d’accueil, à notre tour. Lieu de rencontre, d’échanges, de partages, lieu où les histoires et les personnages écrivent une Histoire. Il nous semble important d’en transmettre le souvenir.
Olivier et Bruno.